Patoo est une artiste libanaise. Les chemins qui mènent à son atelier de Beyrouth sont ponctués d'ornières, de révélations, de forces créatrices. Les deux "o" de la fin de son pseudo symbolisent cet infini dont on sait qu'il existe sans jamais pouvoir l'atteindre. Patoo s'est confiée à Mon Liban d'Azur...
Elle s'appelle Patricia Tohmé et au début, elle choisit l'ingéniérie électrique pour forger le quotidien de ses études. Au bout de la deuxième année, elle veut arrêter mais elle poursuit, comme le souhaitent ses parents. Elle enchaîne comme par défi un mastère en business à l'ESA et ce deuxième diplôme en poche, elle prend une année sabbatique et commence à dessiner comme une folle.
Elle s'appelle Patricia et elle rencontre John Guvderelian (1923-2016), alias Guvder, qui enseigne à l'Académie Libanaise des Beaux-Arts. Il lui apprend à saisir la ligne, à sortir des séries, à comprendre, à voir, tout simplement.
Guvder disait: "je suis un ferrailleur, un chiffonnier". Il ramassait des boûts de plastique, des morceaux de bois sur la plage, et il en faisait des sculptures. Patricia regarde, prend, apprécie, travaille... elle entre à l'université pour étudier les arts plastiques. Mais elle n'aime pas plus que Guvder cet académisme qui ponctionne son âme pour en siphonner l'innocence créative.
Patricia met un an pour oublier ce qu'elle a appris et elle commence à sculpter des lampes à partir d'objets de récupération.
Patricia devient Patoo. Elle apprend à souder, à tordre, elle utilise ses connaissances en ingénierie pour donner naissance à des déesses de fer dont la bouche se confond avec le sexe, des vénus absentes sortant des ondes lumineuses sur leur coquille nacrée...
Pour Patoo, il n'y a pas de hasard, c'est une enfant de la guerre. Mais en bonne libanaise, elle a une forme d'auto-dérision, de résilience qui lui donne cette force que l'on perçoit jusque dans son regard.
Sous ses mains, des objets au rebut dont personne ne veut renaissent à la vie, prennent une nouvelle identité, retrouvent une forme d'innocente jeunesse.
Ses œuvres ne sont achevées que lorsqu'on les lui arrache et qu'elle leur souhaite une vie nouvelle.
Patoo est une artiste. Donc elle est paradoxe. Elle n'aime pas se séparer de son travail, tout en sachant que sa vue permanente est un frein à sa créativité. Elle efface, comme une éponge sur une ardoise... et elle créé encore.
Depuis quelques années, elle s'intéresse à l'archéologie. Elle veut savoir si le système patriarcal et mercantile qui est le nôtre perdure depuis toujours. Et ses recherches lui font découvrir qu'il y a plus de six millénaires, des formes d'organisation sociétale existaient, très différentes, sans hiérarchie particulière.
Patoo se passionne pour le néolitique et elle sculpte des vénus en résine à l'image de celles de Willendorf, de Lespugue ou de Renancourt.
Elle s'inspire aussi de figures prédysnastiques égyptiennes de la période de Nagada (3800 avant JC) ou encore de la période Ubaïde en Irak (5000 avant JC). Chaque sculpture est précédée d'un ou de plusieurs dessins.
Nagada... dessin et sculpture © Patoo
Patoo n'est pas pour autant sourde à l'actualité. En 2018, une inspection surprise découvre qu'un étage entier de l'immeuble de la compagnie Electricité du Liban (EDL) abrite un vaste poulailler. Il n'en faut pas plus pour que l'artiste ne produise une installation symbolisant une poule qui couve l'œuf de la révolution installé dans un cinéma réalisé par l'architecte Joseph Karam en 1965.
Patoo n'est pas là pour plaire. Elle est juste là, elle s'exprime, elle témoigne et elle contacte des galeries pour abriter ses installations, témoins d'une société qui est en train de dévoluer, au lieu d'évoluer, comme elle aime à le dire...
Retourner dans le passé pour mieux comprendre l'avenir, c'est tout le sujet d'un de ses slogans préférés: " Remember the future".
Patoo
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